
Adam Coletta
ON
Canada
La vie est une succession d’événements que nous gérons les uns après les autres, sans vraiment prendre le temps de les vivre, dans notre quête incessante de la prochaine libération de dopamine. Du moins, c’était ma réalité, en tant que mari ambitieux de 28 ans et futur père, animé par le désir inébranlable de construire une vie à laquelle je pensais avoir droit. Il est étonnant de voir à quelle vitesse les choses peuvent changer, comment ma vie a soudainement pris une trajectoire vers un enfer qui n’existait que dans mes cauchemars.
En octobre 2017, j’ai commencé à ressentir de nombreux symptômes qui semblaient m’annoncer un grave problème de santé. Si la vue du sang effraie la plupart des gens, ce rouge pourpre m’était étrangement familier, comme j’avais déjà subi une opération à cœur ouvert. Je pensais naïvement que ma résilience avait déjà été mise à l’épreuve, que la valve cardiaque mécanique qu’on m’avait installée pour la vie me mettait à l’abri des épreuves futures. À mesure que les symptômes s’intensifiaient, mon inquiétude grandissait; je me suis donc rendu à l’hôpital le plus proche pour consulter. Quand je songe à l’anatomie, je réalise que le rôle du sang est souvent sous-estimé, aussi visible soit-il lors d’un traumatisme. Pourtant, son importance pour notre système immunitaire ne m’avait jamais effleuré l’esprit.
Je me souviens encore très bien de l’expression sur le visage du médecin, qui s’efforçait de me transmettre un message en parfaite opposition à mon optimisme. Il a sans doute prononcé une phrase complète, mais le seul mot dont je me souvienne, c’est « leucémie ». Toutes ces années plus tard, la dissonance de cette annonce résonne encore dans ma mémoire. Le temps semblait s’être arrêté; je me demandais si tout cela était réel, ce que le regard de ma femme m’a très vite confirmé.
Le futur auquel je m’attendais auparavant est soudainement devenu statistiquement improbable. Ma réalité, jusque-là d’un ordinaire merveilleux, a pris une tournure tragique et j’ai ressenti un conflit émotionnel intense. Mon esprit était envahi de pensées intrusives aux formes les plus sombres, dont l’idée d’être éjecté de ce monde avant que ma fille n’y entre. N’empêche, j’étais prêt à faire ce qu’il fallait.
Tout au long du traitement, ma vie était une succession d’inconnues. La situation se présentait comme une véritable énigme où les chances n’étaient pas en ma faveur. Mon destin semblait scellé dans une enveloppe que je ne pouvais ouvrir, mais qui était toujours là dans mon esprit. J’ai poursuivi mon chemin, me laissant envahir par un flot de traitements invasifs, voire corrosifs, qui me volaient mon identité, mes cheveux, mon autonomie… mais jamais mon espoir.
Il m’arrive de regretter qui j’étais, la vie que j’aurais pu avoir sans le cancer, sans ce rappel permanent de la fragilité humaine. Au cours de ma convalescence, j’ai appris à valoriser les expériences qui ont façonné ma nouvelle conception de la vie. À bien des égards, je me suis senti renaître; mon passé n’est plus qu’un ensemble de souvenirs agréables, mais lointains. Je suis sorti du chaos, plus résilient et plus empathique, avec une reconnaissance profonde pour la vie et l’influence que je peux avoir sur les autres. Je ne me définis pas par un diagnostic, mais je peux mettre à profit cette expérience pour éclairer le chemin d’autres personnes confrontées à de telles épreuves. Sept ans plus tard, la pensée heureuse de voir ma fille réaliser ses ambitions continue de me motiver. J’espère qu’elle vivra avec fougue et détermination, en se rappelant que si la vie peut être cruelle, elle est également magnifique.
Bien que je sois profondément touché d’être désigné comme héros à l’honneur cette année, je ne suis qu’une voix dans une mer de personnes en traitement, et de proches qui les aident et démontrent quotidiennement leur résilience et leur force mentale. Le cancer peut toucher n’importe qui. Son impact transcende les classes sociales, les identités de genre et les cultures; nous sommes devant une crise d’une ampleur sans précédent qui nécessite votre soutien.
Nous ne pouvons pas attendre à demain pour agir. Je vous invite à contribuer, dans la mesure de vos moyens, aux efforts de la SLLC visant à améliorer le sort et à éclairer le chemin de toutes les personnes touchées par les cancers du sang.
Alors que le flot d’émotions suscité par l’écriture de cette lettre commence à retomber, je me rappelle que la vie est un voyage. Les obstacles en font inévitablement partie, mais ce qui nous définit vraiment, ce n’est pas seulement notre capacité à les surmonter, mais aussi la manière dont nous aidons les autres à faire de même. Je vous tends la main.